jeudi 21 juillet 2016

Que se passe t-il en Turquie ?

Comment démêler le propagande du complotisme ?

Il est toujours difficile de démêler ce qui s'est passé en Turquie dans le nuit du 15 juillet 2016 tant pour le coup d'état en lui-même que pour l'enquête qui a été ouverte après son échec. Aussi les spéculations politiques et les exploitations médiatiques y vont bon train depuis cette semaine, et ce n'est pas les doubles et même triples jeux auxquels nous a habitué la politique changeante de Recep Erdogan qui simplifient la lecture des événements.  


Tout le monde l'a compris aujourd'hui, il y a dans ce coup d'état tenté en Turquie la semaine dernière un part d'ombre que ce disputent aujourd'hui un point de vue occidental jouant avec une propagande atlantiste de plus en plus mensongère et un point de vue eurasiste jouant quant à lui avec une théorie complotiste de plus en plus probable...Et au milieu de tout cela un pouvoir turc qui procède à une épuration musclée du pays dont la critique vive exprimée par les occidentaux cherche peut-être a détourner l'attention d'un enquête menée sur ce coup d'état manqué du 15/16 juillet et qui éclabousse les officines étasuniennes, CIA et OTAN très présentes en Turquie.


Quelques faits : 

Les premiers résultats de l'enquête définissent que coup d'état a été dirigé militairement sur le terrain par le général Akin Ozturk, ancien Commandant des Forces aériennes qui sont très impliquées dans le dispositif stratégique de l'OTAN déployées en Turquie.
Politiquement, cette tentative de renversement du Président Erdogan qui intervient quelques jours après un réchauffement des relations entre Ankara et Moscou serait liée au réseau d'opposition mené par Fethullah Gülen, un intellectuel turc dont l'exil aux USA a été accordée par des responsables de la CIA en 1999. Les relations entre Gülen et la CIA sont importantes et multiples comme le montre son réseau d'écoles "Hizmet" qui ont servi de couverture à l'agence étasunienne dans les anciennes Républiques soviétiques d'Asie Centrale par exemple. Lorsque la politique d'Erdogan a cherché a être plus indépendante des directives américaines, l'opposition de Gülen s'est radicalisée et a organisé en Turquie un pouvoir parallèle en Turquie. Gülan a été condamné par contumace en septembre 2015 au motif d'avoir déjà préparé un coup d'état en Turquie. Aujourd'hui Ankara demande à Washington son extradition...

Lorsque le coup d'Etat intervient dans le nuit du 15 au 16 juillet, la première phase semble aboutir avec la capture des médias, le siège de l'assemblée nationale et surtout la maîtrise de l'espace aérien à partie de plusieurs bases contrôlées par les putschistes dont la plus grosse base stratégique que l'OTAN dispose dans la région, à Incirlik.

Un peu après minuit l'avion présidentiel qui ramène Tecep Erdogan à Ankara est pris en chasse par 2 avions aux ordres de putschistes, mais ces derniers abandonnent rapidement leur poursuite et retournent à leur base.

A partir de cet instant les forces loyalistes reprennent le dessus, et le contrôle du ciel, tandis que la foule appelée par le Président Erdogan investit les rues d'Ankara et s'oppose au coup d'Etat. L'ordre constitutionnel sera rétabli au petit matin tandis que la vague des arrestations commence...



Ce que l'on sait 

Les pilotes putschistes qui ont suivi le Président Erdogan lors de son vol de retour était ceux qui avaient abattu le 24 novembre 2015 le chasseur bombardier russe Su 24 en mission antiterroriste en Syrie. L'enquête a depuis déterminée que l'avion n'avait pas violé l'espace aérien turc (et quand bien cela n'aurait pas justifie pas sa destruction), et la Turquie a présenté ses excuses à la Russie pour cet incident grave ayant entraîné la mort d'un pilote et une grave crise diplomatique entre les pays et dont il est important de rappeler ici quelques "coïncidences" :
  • L'attaque de l'avion russe intervient après que Moscou est demandé à Ankara de cesser son soutien logistique aux organisations terroristes opérant en Syrie.
  • Le F16 qui a tiré basé à Incirlik était en mission de reconnaissance photographique sur la frontière, or ces missions sont supervisées... par la CIA présente sur la base. 
  • Les 2 pilotes sont des sympathisants du réseau Gulen dont le dirigeant pro occidental affiche dans ces discours une russophobie régulière.
24 novembre 2015, destruction en vol d'un Su24 russe 
par un F16 turc sous commandement de la CIA

Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, ces deux pilotes qui devaient abattre l'avion du Président et qui avaient verrouillé leur cible, ont reçu un ordre d'annulation du Commandement au dernier moment. Cet ordre a été général pour tous les avions des putschistes qui sont tous rentrés dans leurs bases respectives. 

Il semblerait que cet abandon de l'assassinat du Président et de la couverture aérienne qui étaient vitales pour le putsch soient la conséquence d'une menace d'intervention russe immédiate contre les aéronefs turcs à l'aide des batteries de missiles S-400 sur l'aéroport militaire syrien de Hmaymime (à proximité de Lattaquié), et qui ne sont qu'à 12 secondes de l'espace aérien turc

Devant la menace de voir des avions, certes putschistes, mais appartenant aux effectifs de l'OTAN être détruits par les russes (qui auraient pu officiellement leur reprocher ?) le Commandement stratégique a annulé toutes les missions aériennes du coup d'état.. 


Les 2 pilotes qui ont été arrêtés et sont en cours d'interrogatoire ainsi que d'autres officiers impliqués dans le putsch pour que la lumière soit faite sur ces zones d'ombre du coup d'état qui pourrait se révéler comme une nouvelle opération sous faux drapeau menée par des USA, désireux d’empêcher tout rapprochement entre Moscou et Ankara.

On peut aimer ou ne pas aimer Erdogan, dont la politique pragmatique ressemble parfois à celle d'un chien fou, mais force est de constater que les relations qu'entretiennent les USA avec la Turquie ne sont motivées, depuis les années 50, que par l'intérêt de contrôler dans cette région vitale, une pièce stratégique maîtresse dans leur affrontement contre la Russie.

En effet, la Turquie qui appartient territorialement plus à l'Eurasie qu'à l'Europe, est pour Washington :
  • la porte d'accès de la Méditerranée orientale pour la Russie (mer Noire),
  • le carrefour des routes énergétiques en provenance du Moyen Orient, d'Asie et du Caucase 
  • un anneau important dans l'encerclement de l'Iran, une base arrière de la guerre en Irak
  • le partenaire potentiels importants de projets gaziers occidentaux ou russes
  • l'armée la plus importante de l'OTAN (700 000 hommes) qui assure sa présence au Moyen Orient
  • etc...
Bref, autant d'avantages qui poussent les USA à tout faire et à n'importe quel prix pour conserver ce pays dans leur giron militaro-industriel et surtout l'empêcher de se rapprocher de la Russie.

Le risque d'un coup d'état en Turquie était connu, en décembre Moscou avait été informé de la probabilité d'une opération de la CIA en Turquie pour remplacer l'ingérable Erdogan par le fidèle Gülen. J'avoue qu'à l'époque, en pleine crise de Sukhoi 24, je n'avais pas accordé une attention sérieuse à cet article, mais qui aujourd'hui revient au premier plan des analyses en cours.
Par ailleurs Mujtahib une source bien informée au sein de la famille royale saoudienne a déclaré que "le Prince héritier saoudien et le ministre  de la Défense Mohammad bin Salman avaient été informés du coup d'Etat militaire en Turquie" par les services étasuniens.
Enfin si on rajoute à ceci d'autres faits convergents comme celui de la décision prise par Paris 2 jours avant le putsch, de "fermer son ambassade à Ankara jusqu'à nouvel ordre pour des raisons de sécurité", nous sommes en droit de nous poser des questions sur cette connaissance du danger et l'éventuelle complicité occidentale qu'elle suppose...


Ce que l'on observe 

Depuis les déclarations officielles de bonne conscience ralliant le 16 juillet la condamnation du coup de force au lendemain du coup d'état, les représentations occidentales, assez discrètes dans ce dossier brûlant, ont laissé la place à leur propagande qui depuis se lâche jusqu'à la pâmoison contre... le Président Erdogan, victime du Putsch et qui est accusé d'islamiser son régime en menant en réaction une épuration (mais qui ne le ferait pas ?) au sein de l'opposition et de vouloir rétablir la peine de mort pour punir les auteurs du putsch. 
Et ces chiens de garde médiatiques qui ferment les yeux sur la charia des royaumes pétroliers du Golfe et sont les premiers à hurler au complotisme lorsque quelqu'un critique le système qu'ils défendent vont même jusqu'à soupçonner Erdogan d'avoir lui même organiser ce coup débat sanglant pour justifier une épuration anti démocratique...

Tout cela cela prête à sourire et surtout nous invite à chercher d'autres raisons que des inquiétudes droitdelhommistes pour expliquer ce retournement de l'attitude occidentale vis à vis d'un sultan ottoman à qui on voulait ouvrir encore les portes de l'Union Européenne il y a peu.

Ce qui a semblé irrité au plus haut point l'Oncle Sam ce sont bien les rapprochements entre Ankara et Moscou, que la guerre en Syrie avait gelé, mais que la diplomatie russe à force de patience et d'arguments a réussi à débloquer, jouant il est vrai sur une politique versatile et ambitieuse menée par Erdogan.

Ce dernier en effet depuis son arrivée au pouvoir ne cesse de changer de cap, laïc évoluant vers un régime islamique, un jour contre un autre jour avec les Frères musulmans, soutenant l'opposition syrienne avant de la lâcher plus tard etc... Seul son alignement à la politique atlantiste et aux USA, qui l'avaient aidé a fonder l'AKP son parti politique était une constante de son évolution politique... jusqu'à aujourd'hui !

Ankara, à cause de son suivisme atlantiste initial, a été dans la guerre en Syrie le dindon de la farce d'une politique occidentale complice de la nébuleuse terroriste en Syrie jusqu'à ce que cette dernière échappe au contrôle de son créateur étasunien. Le gouvernement turc qui s’apprêtait en novembre a rompre ses relations avec les groupes islamistes en Syrie a probablement été pris en otage par une crise majeure avec Moscou suite à l'attaque du sukhoi 24 russe décidé par une partie de son état major, affidé à la CIA.

Les arrestations au sein de l'appareil militaire turc et l'enquête en cours vont confirmer rapidement quels liens unissent les putschistes et leurs commanditaires politiques avec les officines étasuniennes que sont la CIA et l'OTAN, très présentes en Turquie, et quels rôles ont elles joué dans ce coup d'état.

Lawrence Wilkerson,soutient la théorie d'une action de la CIA . Il s'agit de l’ex-chef du cabinet de l'ancien ministre américain des Affaires étrangères, Colin Powell, et "qui est convaincu que le service de renseignement américain est directement impliqué dans la récente tentative de coup d'Etat en Turquie."

Au lendemain de l'arrestation des 2 pilotes que le Gouvernement turc désire condamner à mort pour leur participation au putsch, le vice Premier ministre russe Arkadi Dvorkovitch, annoncé le lundi 18 juillet que les projets économiques entre la Russie et la Turquie étaient à nouveau à l'ordre du jour. notamment le prjet gazier Turkish stream qui anéantit les ambitions concurrentes des USA (via le Qatar) qui sont aussi et surtout  la clé de voûte de la stratégie d'encerclement militaro industriel de la Russie  

Voilà qui devrait énerver encore plus l'Oncle Sam qui craint surtout que le purge engagée par Erdogan concerne aussi (et surtout) son influence dans la région !


Ce qui est à craindre


Hasard ? Coïncidence ? au moment du coup d'état en Turquie, 2 flottes étasuniennes animaient, avec d'autres bâtiments alliés (bulgares, roumains, turcs et Ukrainiens), deux très importantes manœuvres navales en Mer Noire. Ces 2 exercices baptisés "Black Sea Breeze" et See Breeze 2016" 

Or plusieurs sources rapportent que les flottes étasuniennes viennent de mettre le cap vers la Turquie, qui en instaurant son état d'urgence a bloqué toutes ses bases militaires y compris celle de Incirlik où sont stockés environ 90 missiles nucléaires américains de type B61Voilà peut-être un beau prétexte pour une intervention étasunienne sur le sol turc et tenter par la même occasion de reprendre directement la mission donnée aux putschistes.

Toujours en bordure de cette mer Noire dont les eaux bouillonnent depuis 2014, en Ukraine les risques d'une reprise grave du conflit dans le Donbass se font de plus en plus entendre, surtout depuis la décision par Kiev d'instaurer en Ukraine la loi martiale, vraisemblablement à partir du 1er août 2016. Attiser un feu couvant contre Moscou pour tenter d'en étouffer un autre est un jeu dangereux, mais Washington déjà pris à son propre piège en Ukraine et en Syrie, a t-il d'autre choix aujourd'hui devant cette mutinerie turque qui est le prolongement dans un autre registre de la révolution islamique qui a libéré l'Iran en 1979 de la mainmise militaro industrielle étasunienne.

Si les soupçons de l'implication étasunienne dans le coup d'état manqué du 15 juillet se confirment un crise exceptionnelle, sans précédent et surtout imprévue risque de frapper cette région déjà sous haute tension entre la Syrie, l'Irak et l'Ukraine. Les USA dans leur coutumière inconscience méprisante auront alors mis le feu à leur propre maison et, à moins que de se lancer dans une aventure militaire suicidaire, ils ne pourront pas éteindre cet incendie sans l'aide de... la Fédération de Russie et qui ne manquera pas alors de rétablir en contrepartie la stabilité initiale en Syrie et en Ukraine...

Les USA vont devoir faire machine arrière, ce qui est annoncé par l'option Trump ou au contraire foncer en avant ce qui est probable avec l'option Clinton ... 
Obama cependant en bon néo-conservateur incendiaire pourrait anticiper et forcer cette dernière option avant l'échéance électorale américaine.

L'été et l'automne vont nous dessiner l'orientation prochaine de notre monde à la dérive au milieu d'un champ de mines posé par un vampirisme étasunien arrogant.

Une fois encore on voit ici que la politique menée par Moscou et qui consiste à protéger ses intérêts dans le respect des droits internationaux et des gouvernements élus est payante sur un moyen et long terme., tandis que s'effondre les lisons dangereuses, alliances sulfureuses et autres stratégies violentes d'un Nouvel Ordre Mondial totalitaire devenu complètement fou...

Erwan Castel

L'analyse de Francis Cousin


Source de l'article 

Site "What does it mean", le lien : ICI


Pour lire les autres articles sur le coup d'état, le lien ici : Turquie




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